Scènes endormies dans la paume de la main - 2022



Le sujet :
Huit nouvelles nous emportent dans un univers à la lisière de l'illusion, du rêve ou de la folie avec pour toile de fond la danse, le théâtre, la représentation d'univers parfois imaginés mais pourtant bien réels pour celui qui en a la vision. 

Le verbe
Lorsque la petite fille demandait à la couseuse pourquoi elle ne recevait pas de réponse, celle‑ci ne savait jamais quoi répondre. — Mais vous habitez au‑dessus du bureau de poste, n’est‑ce pas ? insista la petite fille, comme si c’était pour elle une condition suffisante pour expliquer le silence de la Sylphide. — Oui, mais je n’y travaille pas ! tenta de se défendre la couseuse. — Ça, je le sais, rétorqua la petite fille. Pour elle, le lieu de résidence était apparemment plus important que le contenu du travail. Elle avait trouvé l’adresse qu’elle copiait sur les enveloppes contenant ses messages à la Sylphide sur la brochure qu’on lui avait donnée à l’entrée de la salle de spectacle. C’était celle de l’imprimerie qui l’avait fabriquée. Elle n’avait aucun lien avec la compagnie de ballet. (p.19)
Mon complément :

1. Des ailes avec des empreintes de doigts

Une femme décide de répondre à la place d'une comédienne à laquelle une petite fille subjuguée a envoyé des lettres pour lui témoigner son admiration dans son interprétation d'une sylphide.

2. Étreindre la licorne

Une jeune fille loge chez sa tante le temps de passer des examens et découvre que celle-ci tricote une paire de gants mais une seule maille à la fois.

3. Un amour de grotte

Une femme enregistre des notices pour un acupuncteur aveugle qui la soulage de maux de dents. Des filaments bizarres sortent de sa bouche et meurent en formant des formes différentes. Au bout du 13è filament, la femme découvre que les étranges formes forment les lettres du mot amour en japonais.

4. Prédire les doubles fautes

Une femme victime d'un accident décide d'utiliser le montant du dédommagement pour assister à 79 représentations d'une pièce de théâtre ; elle se fait repérer par une femme qui habite dans un endroit secret du théâtre, et dont la fonction est de faire des faux pas et des erreurs pour éviter que les comédiens ne les produisent sur scène.

"At the Theatre" par Prudence Heward

5. Jupe-à-fleurs

Une femme meurt et l'on découvre sous son lit un entassement putrescent de programmes de théâtre accumulés depuis des dizaines d'années car elle collectionnait les autographes.

6. La comédienne décorative

Une femme accepte n'importe quel travail de dame de compagnie, même les plus invraisemblables comme celui de vivre sur la scène d'un théâtre privé pour un seul spectateur.

7. Le chien sacrificiel

Un chien est employé à tirer la charrette d'un librairie ambulant. Tandis que les enfants s'amusent avec le chien, l'un d'entre eux est attiré par un livre qu'il n'a pas les moyens d'acheter ; chaque visite du libraire est une occasion pour lui de regarder le livre des secrets des oiseaux migrateurs.

8. Les geckos infinis

Dans une ville thermale, une femme découvre que les propriétaires de son hôtel vendent des couples de geckos dont le destin est de mourir enlacés.

"Le Supplice de Mézence" par Louis Janmot


- Des geckos infinis, ai-je répété tout doucement.
- C'est-à-dire des geckos enlacés qu'on ne peut plus séparer, a expliqué la femme avec assurance, sans l'ombre d'une hésitation.
Sans rien dire, j'ai essayé de me les représenter.
- Quand on les met dans un vivarium étroit...
- Il arrive que les deux corps s'enlacent, le plus souvent à partir de la queue.
- Et quand on essaye de les séparer, ça devient encore plus difficile de les détacher, et il n'y a plus rien à faire. (p.268)



Il existe des écrivains qui vous emportent et vous enferment dans leurs univers et Yoko Ogawa est de ceux là pour moi. Avec elle je retrouve la poésie, la folie, les choses simples qui dérapent, le destin qui se superpose à la prémonition. Les frontières ne sont jamais franches et les pays dans lesquels Yoko fait évoluer ses personnages n'existent que pour ceux qui savent regarder dans l'infinie imagination des auteurs. C'est le 29è livre que je lis de cette auteur à laquelle je consacre ce site depuis 2008.

Comme pour d'autres livres avant celui-ci, je remarque le retour de la pièce cachée ("Prédire les doubles fautes"), la maternité et l'eau (les geckos infinis), mais surtout une imagination sans limite où la mort s'invite parmi les vivants au point que les deux temporalités s'amalgament.

Ce soir-là, je me suis frictionné le ventre avec l'eau thermale avec encore plus de vigueur que d'ordinaire. J'ai avancé vers le fond du bassin aussi loin que ma peur me le permettait, j'ai puisé dans mes paumes l'eau d'une intense couleur rouille qui suintait du rocher et je m'en suis massé en partant du nombril pour aller vers le bas-ventre. (p.266)

Mais le plus frappant pour moi, c'est la capacité à Yoko (et à sa traductrice) à écrire le subtil, le délicat, dans une langue qui me parle tellement.

Les scènes endormies dans la paume de la main, je ne suis demandée à quoi cela se réfère et j'ai une réponse : ce pourrait être les programme de théâtre dont il est souvent question dans les nouvelles de ce recueil : le programme du spectacle de la sylphide, les programmes entassés qui pourrissent sous le lit de "jupe-à-fleurs". La nouvelle qui m'a le plus triste est celle du "chien sacrificiel", la plus drôle mais aussi la plus perverse est celle de  celle de la "Comédienne décorative".

Les illustrations que je dépose dans ce résumé m'ont été inspirées à la lecture du livre : j'avais les images dans ma banque d'images et j'ai envie de les partager avec vous mes fidèles lecteurs.





Informations sur le livre

Editeur : Actes sud

270 pages

Titre original : Renohira ni nemuru butai

Traduit du japonais par Sophie Refle

Prochaine publication prévue

Prochaine publication prévue
Livre lu en 2022, je vais le relire pour écrire mon article