Cristallisation secrète - 1994


Mon résumé
Sur une île isolée. De nos jours. Une jeune femme écrivain tente de ne pas disparaître alors qu'autour d'elle, les choses et les gens se retrouvent du jour au lendemain mystérieusement oubliés. Dans son nouveau roman, elle imagine une héroïne muette, qui finit par être assimilée dans les objets qui encombrent le grenier dans lequel elle se retrouve enfermée.
Nous parlons de toutes sortes de choses en prenant le goûter. La plupart du temps il s'agit de souvenirs. De mon père, ma mère, ma nourrice, de l'observatoire ornithologique, de la sculpture, du lointain passé où l'on pouvait se rendre dans d'autres endroits avec le ferry... Mais nos souvenirs de jour en jour ne font que diminuer. Parce qu'ils sont emportés avec chaque disparition. Nous partageons le peu qui reste du goûter et nous répétons les mêmes histoires que nous laissons fondre lentement sur nos lèvres. (p 27)

Un peu plus
Ecrit en 1994, la même année que l'Annulaire, Cristallisation secrète évoque de nombreux thèmes chers à Ogawa :
* L’eau (la maison de la narratrice est au bord d’un lavoir, le ferry sur la mer, la neige qui tombe)
* La dactylographie, la machine à écrire
* L’ouïe, les sons
* La transformation des corps
* Le base-ball,
* La dépendance
* Les liens
* La mémoire
* La pièce secrète (la chambre secrète, la petite pièce hexagonale)
* Les collections (le meuble de sa mère, les objets disparus cachés dans des sculptures)

Mon résumé plus détaillé est le suivant :
Sur une île, de nos jours. Des choses disparaissent, pour lesquelles il est désormais interdit de se souvenir ou de garder une trace. Ainsi en est-il des tickets de ferry, des bonbons à la limonade, des pétales de roses,… qui finissent par disparaître au point que plus personne ne se souvient de leur existence passée, ou même de leur usage. Un jour, ces choses existent, le lendemain, plus personne ne s'en souvient. Personne ? Non, car certains ne peuvent pas oublier. Une police secrète est donc chargée de détecter ceux qui contreviennent à la loi, qui sont chargés de souvenirs. Ceux-là sont alors emmenés par les traqueurs de souvenirs, on ne les revoit jamais. Certains décident de se cacher. Mais les cachettes finissent toujours par être découvertes. Une jeune femme écrivain, décide de cacher R, son éditeur, à partir du moment où il lui avoue être de ceux qui gardent les souvenirs en eux. Aidée par le grand-père, un ami de la famille qui vit sur le ferry oublié de tous, elle aménage une cachette dans sa maison et l’y installe. C’est la chambre secrète, une pièce tout en longueur dissimulée entre deux niveaux de la maison. Pendant ce temps, elle poursuit la rédaction d'un roman et présente à R son travail pour qu'il ne s'ennuie pas. Il s’agit de l’histoire d’une femme qui a perdu sa voix, et qui décide de prendre des cours de dactylographie pour s’exprimer. La salle de cours est aménagée dans une église. La jeune femme tombe amoureuse du professeur, mais celui-ci finit l’enfermer dans une pièce oubliée dans le clocher, avec pour seule compagnie le mécanisme de l’horloge et de vieilles machines à écrire cassées.

On le comprendra. Ceci est un roman à énigme, pour lequel la fiction pourrait rejoindre une certaine réalité, passée ou future. J'ai trouvé ce récit de toute beauté, parce qu'il exprime de manière très fine l'enfermement, la peur, l'absurdité, la suppression de liberté.

J'ai également noté l’émouvant témoignage que Yoko offre à Anne Franck, puisque son Journal est l'un de ses livres préférés. La chambre cachée de R, toute en longueur, où l'on n'est bien qu'allongé sur le lit, ressemble à un cercueil.

Une cristallisation dans le secret de l'auteur, une métaphore qui exprime l'effacement de l'écrivain qui ne laisse que sa voix quand les mots disparaissent (l'impression, ce qui reste après une lecture de ce genre) et la créature, cet autre que l'on créé à son image ou à l'inverse, une sorte d'anamorphose du comportement : une créature qui n'a plus de voix alors que soi-même n'avons plus que cela, une créature qui finit soudée dans les encombrements (de l'esprit) alors que soi-même finissons par disparaître, invisible, uniquement présente par le corps ténu du souvenir, de l'évocation, de l'inspiration aussi. Forcément !
Titre : Hisoyakana kesshō
Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle
340 pages