Les lectures des otages - 2011


Mon résumé
Dans un pays éloigné du Japon, sept touristes japonais accompagnés de leur guide sont pris en otages par des rebelles et finissent par mourir lors d'un assaut de tentative de libération. D'eux, il ne reste que quelques extraits à peine audibles sur la bande magnétique des écoutes qui ont pu être enregistrées à l'aide d'un micro espion placé dans un kit de secours échappé à la vigilance des geôliers, ainsi que des fragments d'écriture retrouvés dans les ruines de la cabane. Chaque histoire reconstituée est ainsi racontée plusieurs mois après le drame, au cours d'une émission radiophonique en leur mémoire.
Dans l’ancienne cabane de chasseur il n’y avait rien méritant le nom d’objet laissé par les défunts: les familles trouvèrent seulement éparpillés sur le sol des morceaux de phrases inscrites sur des éclats de bois. Les mots qui restaient sur les planches brûlées et noircies, discontinus, menaçant de disparaître d’un instant à l’autre, étaient probablement les traces d’écriture d’un otage. Bientôt, sur toutes sortes de débris provenant d’étagères, fonds de tiroir, cadres de fenêtre ou pieds de table, on découvrit celle des huit otages. Pour écrire, il semble qu’ils avaient utilisé des instruments tels que des aiguilles de nécessaire à couture ou des épingles à cheveux. Mais il ne restait que très peu de fragments d’écriture, si bien que l’on ne comprenait pas très bien le sens ni la raison de ce qui avait été écrit. (p.10)

Un peu plus
J'achève à l'instant le dernier livre traduit de ma chère Yoko Ogawa. J'y ai retrouvé la délicatesse et le survol habituel qui fait de ses récits des sortes de fragments de vie. Des récits que j'ai perçu inégaux au cours de la lecture, certaines histoires étant plus intéressantes que les autres.
Au départ quatre foulées, au milieu huit, et après le lancement sept jusqu'à la fin. Ses jambes continuaient à marquer correctement ce nombre de pas. Que les rayons du soleil se renforcent ou que change la direction du vent, rien n'entrait en considération. 4,8,7. 4,8,7. 4,8,7. Cette répétition interprétait une mélodie sur la terre. (p.127)

Dans son enfance une femme aide un ouvrier blessé et le retouve plus tard alors qu'elle est incarcérée dans une voiture accidentée ("1-la canne"). Une patissière accomplie évoque un vieux paquet de biscuits qu'elle conserve comme porte-bonheur (2-"Les biscuits Yamabiko"). Un écrivain se souvient comment l'inspiration lui est venue après ses multiples séjours dans une mystérieuse salle de réunion (3-"La salle de propos informels"). Un ophtalmologue avoue garder depuis son enfance une vilaine peluche en forme de loir roulé sur lui-même (4-"Le loir hibernant"). Un directeur d'usine se souvient très exactement du consommé qu'il a pu goûter dans son enfance (5-"La virtuose du consommé"). Une veuve solitaire garde en son coeur le souvenir d'un athlète qu'elle a observé à l'entraînement toute une matinée (6-"Le jeune homme lanceur de javelot"). Une femme explique toutes les circonstances où on lui a trouvé une ressemblance avec une aïeule défunte (7-"La grand-mère morte"). Le guide touristique raconte comment le magnifique bouquet de fleurs qu'il reçu un jour se transforma en témoin de toutes les morts qui croisent son chemin (8-"Le bouquet de fleurs"). Un membre de la brigade anti-terroriste explique comment il a rencontré pour la première fois des japonais (9-"Les fourmis coupeuses de feuilles").

Il s'agit de 9 nouvelles (qui suivent le préambule expliquant les circonstances du drame). Chacun des protagonistes raconte aux autres un souvenir particulier qui est toujours resté vivace. Ce souvenir évoqué est ensuite transcrit sur tout ce qu'ils peuvent trouver dans la cabane où ils sont retenus en otages, mais également écouté par des gens à l'extérieur de la cabane.

Le dernier récit fusionne tous les autres, tout comme les otages sont retrouvés tous ensemble :
Les corps des huit otages serrés l’un contre l’autre ne s’étaient pas désolidarisés dans l’explosion, ils avaient manifestement fondu ensemble, ne formant qu’un seul bloc. (p.10)
c'est l'impression qui me reste après la lecture. Le dernier récit expose l'enfance, la grand-mère, ... et il sert de "liant", de "filtre", pour ce consommé que nous a préparé l'auteur ; cette sorte de mets qui est au final bien plus complexe que ce que l'on peut percevoir au premier coup d'oeil. Un récit à plusieurs voix mais une seule tonalité : la vie n'est rien sans la mémoire et la solidarité. La mort n'est qu'un état obligatoire qu'il ne sert à rien de fuir mais au contraire s'y préparer au mieux à chaque instant.

Dans ce roman, Yoko Ogawa exprime à mots couverts de l'importance de l'écriture (un seul de ses personnages est écrivain) mais on retrouve pas mal d'éléments chers à Ogawa sur le thème du récit : chaque personnage est d'accord pour raconter une partie de ce qu'il est, une chose secrète qu'ils portent en eux et qu'ils dévoilent peut-être pour la première fois, qui sera leur trace, leur empreinte.

Nous retrouvons ici les thèmes chers à l'auteur et qui sont pour moi comme des petits "marque-pages" : l'observation de la nature et des insectes, l'anatomie, les gâteaux aux fraises, l'importance d'une rencontre inopinée qui finit par marquer toute une vie.

La prose d'Ogawa est pour moi comme une sorte d'aveuglement, plusieurs heures après, plusieurs jours, plusieurs mois, ce qu'elle raconte flotte devant mes yeux et la rémanence se superpose alors à ce que je vois de ma vie.

Un livre à garder à portée de main !



Titre original : Hitojichi no Rôdokukai
traduit du japonais par Martin VERGNE
date de parution : 2011
parution en français : 2012
183 pages